En regardant Kyouko sourire, paisible et radieuse, Chiori repense aux paroles du réalisateur Okuya de The Scarlet Dice, comme quoi elle sera capable de surmonter l’épreuve. Les mots qu’il a employés décrivent bien la Kyouko devant elle. Elle, qui joue un personnage haïssable, a dépassé ce fait et ses yeux brillent, heureux. Okuya a toujours gardé un œil sur elle, espérant la voir sourire ainsi un jour, sourire comme elle le faisait avant, petite, heureuse de jouer. Okuya avait compris qu’elle n’aimait plus jouer. Il savait.
Comme Chiori ne dit plus un mot, Kyouko se penche vers elle, inquiète.
Malgré ses sentiments, Chiori a continué à jour, cramponnée à sa gloire passée. Bien qu’elle ait changé son nom de scène, pour que personne ne fasse le rapprochement, elle a toujours vécu dans l’ombre de son passé.
Chiori se décide à parler, avec un sourire sombre. Elle trouve que Kyouko se moque d’elle, car toutes ces sensations qu’elle dit avoir découvert, ce n’est pas grâce à elle, Chiori, Kyouko l’a fait toute seule. Elle demande à Kyouko ce que, selon elle, elle a pu faire qui lui aurait aidé. Avec un sourire ingénu, Kyouko répond que c’est parce que Chiori a réduit en morceau le papier sur lequel était écrit son nom, fixé à la porte de sa loge. Chiori sursaute : alors elle savait que c’était elle ! Kyouko ajoute qu’à cet instant, si elle n’avait pas été dans la peau de Natsu, elle n’aurait sans doute jamais compris que Chiori était le coupable. Parce qu’en tant que Kyouko, elle n’avait aucune raison de la soupçonner. Au contraire, alors qu’elle donnait du souci à tout le monde, Chiori l’a gentiment aidé en lui donnant des conseils pour mieux jouer. Pour Kyouko, Chiori est quelqu’un de bien, quelqu’un qui lui aurait pardonné tous les ennuis qu’elle lui a causé. Mais Natsu s’est imposée en elle et lui a murmuré qu’au contraire, il n’y a aucune chance qu’elle lui pardonne, parce qu’elle est Yumika. Yumika, une personne qui en apparence est une bonne élève, qui supporte tout avec un sourire, accumulant sa rancœur en elle. Quelqu’un comme Natsu. C’est pour ça que Natsu a dit à Chiori qu’elles se ressemblaient.
Kyouko croise ses mains sur sa poitrine, paisible, les yeux fermés. Elle lui dit que Natsu est née ainsi, que les émotions de quelqu’un d’autre se sont naturellement glissés en elle, cette mystérieuse sensation. Et que tout ça, c’est grâce à Chiori. Elle lui sourit gentiment, reconnaissante.
Chiori la regarde sans rien dire, yeux bien ouvert, bloquée.
En lisant le scripte, elle avait elle aussi compris que Yumika et Natsu étaient semblables, leur manière de cacher leurs sombres pensées, leur façon de laisser libre cours à leurs sentiments. Quand elle l’a su, un frisson a parcouru son corps. Parce que non seulement Yumika et Natsu se ressemblent, mais surtout, elle leur ressemble. C’est pour ça qu’elle ne voulait pas jouer sérieusement ce rôle. Elle n’aimait pas bâcler son travail, mais elle avait peur de le prendre trop au sérieux et que le drame de son passé se répète.
Chiori regarde une feuille dans sa main. La preuve de son côté sombre, détenue par Kyouko.
Cette dernière la lui a rendu, solennellement, et Chiori la lui a arraché d’un coup, sur ses gardes. Kyouko lui dit qu’elle va peut-être lui faire à nouveau des reproches, comme quoi elle ne devrait pas parler d’elle alors qu’elle « a si bien réussi », mais elle veut quand même lui confier quelque chose : elle s’est retrouvée liée à Mio, elle a senti son ombre planer sur elle, alors elle comprend ce que Chiori ressent. Mais elle ne peut pas oublier ce personnage. Mo est une part d’elle même, quelque chose qu’elle a crée, qu’elle a nourri de toutes ses forces. Alors peu importe ce qui se passe, elle ne veut pas nier son existence. Ce serait comme la tuer de ses propres mains, ce qu’elle refuse. Si les choses devaient se compliquer, elle préférera se battre, même si c’est dur, même si c’est long, pour que les gens sachent qu’elle peut aussi jouer ce genre de rôle.
Chiori regarde Kyouko s’éloigner. Elle la suit en retrait et l’observe. Kyouko qui va voir le réalisateur, Kyouko qui rejoint Makino et la petite blonde. Cette Kyouko, Chiori la trouve agaçante. Elle repense aux paroles de Natsu lui disant que question cœur et esprit, elles ne sont pas du même niveau. Puis elle sourit, vaincue. Elle ferme les yeux, apaisée, reconnaissant que Natsu avait raison. Même si Kyouko ne l’a sans doute pas fait exprès (d’autant plus que c’était les mots de Natsu), ses paroles ont glissé en elle, jusqu’à sa part blessée et faible, et l’ont guéri.
Aux studios de tournage de l’émission de Bridge Rock, Kyouko a raconté à Hikaru ce qui s’est passé. Il lui demande comment ça s’est terminé pour Chiori, l’a-t-on renvoyé ? Kyouko, souriante, lui dit que non, au contraire, ils ont tourné la scène pour de vrai ensuite (ce qui s’est passé dans le karaoké n’était qu’une répétition) et que Chiori s’est là aussi donnée à fond. Hikaru s’étonne, parce qu’on aurait dit que Chiori voulait abandonner. Kyouko lui répond que d’entendre le réalisateur dire que son jeu était aussi bon que celui des acteurs principaux a été comme un déclencheur, réveillant sa motivation. Hikaru dit que c’est la naissance d’une vraie actrice. Kyouko est de son avis.
Elle repense à un événement, juste avant le tournage de la scène. L’actrice jouant la victime s’est inclinée devant Chiori en lui demandant de ne pas hésiter pour le tournage de la scène. Du point de vue de Kyouko, Chiori a eu une expression assez complexe sur le visage, puis elle a sourit gentiment et sincèrement en rassurant l’actrice. Et effectivement, durant le tournage, elle a bien joué et elle n’y a pas été mollo.
Kyouko et Hikaru sont dans la cafétéria. Il prend un sachet contenant les fameux sandwichs qu’ils n’ont pas pu manger la dernière fois.
Kyouko se sent un peu coupable : Chiori a tout fait pour effacer Akari, ce rôle de méchant qu’elle a joué dans The Scarlet Dice. Elle voulait tellement s’en débarrasser qu’elle a même changé de nom. Elle voulait sûrement aussi éviter de jouer une Yumika trop extrême. Et elle, elle l’a forcé à torturer à sa place. Natsu est vraiment méchante. Cette fille est vraiment spéciale, elle se demande bien à quoi peuvent ressembler ses parents (note : Kyouko parle de Natsu comme d’une personne à part entière et différente d’elle). Elle n’a ressenti aucune retenu dans le jeu de Chiori lors du vrai tournage, au contraire, plus on avance dans le film, plus Yumika devient un second acceptable pour Natsu, au point qu’elle pourrait même être une meilleure partenaire que Kaori pour Natsu. Peut-être… peut-être que Chiori a réussi à s’en sortir ? Ce serait bien si le rôle d’Akari n’était plus un poids pour elle.
Kyouko marche à côté d’Hikaru, portant un sachet. Elle sourit doucement. Elle espère vraiment que Chiori réussira à dépasser ça, car Akari est le personnage qui a donné à Chiori envie de jouer. Elle voudrait que Chiori chérisse ce rôle.
Soudain, une drôle de sensation la tire de sa réflexion et elle s’arrête de marcher. Hikaru se retourne vers elle, surpris, lui demandant ce qui se passe. Kyouko a les yeux grands ouverts, comique. Elle tourne la tête vers la droite, vers un hall où trois personnes sont elles-mêmes stoppées, choquées, pointant du doigt quelque chose qu’on ne peut pas voir. Ce qui confirme sa sensation : Kyouko a eu l’impression, l’espace d’un instant, d’apercevoir quelque chose de vif, quelque chose qu’on ne peut ignorer. Ces gens l’ont vu aussi ! Elle éclate de joie, dansant en tournant, persuadée qu’il s’agit de Kanae. Mais s’arrête net quand elle se rend compte que cette personne, portant pourtant l’inimitable uniforme de la Love Me Section, n’est pas Kanae. On voit de dos une personne aux cheveux bruns mi-longs, plus petite que Kanae, un manteau blanc dans une main, un sac noir dans l’autre, fendant la foule, indifférente aux regards des gens présents. Mais qui ça peut bien être ???
La personne en question jette des regards à droite et à gauche, cherchant son chemin. Elle tourne assez la tête pour que Kyouko puisse voir son visage.
Choc ! Yeux exorbités, mâchoire pendante, Kyouko découvre que ce nouveau membre de la Love Me section n’est autre que… Chiori !!!!
