Les passants s’affolent en voyant Kyoko s’approcher de l’homme à la dégaine assassine. Elle veut se faire frapper ou quoi ?! Un suicidaire ! Vite, appelez la police !
Kyoko prononce avec hésitation le nom de Ren. L’homme lève lentement la tête dans sa direction et lui lance un regard si sombre, si plein de haine que Kyoko a un mouvement de recul, choquée, terrifiée.
Ca ne peut pas être Ren, hein ? Elle a si peur que des larmes semblent lui monter aux yeux. L’inconnu remarque son expression, il crache sa cigarette sur le sol, l’écrase avec le pied, d’un mouvement sec, puis les mains toujours dans les poches, il se lève et marche vers Kyoko. Il s’approche de son visage. Elle a si peur qu’elle recule de nouveau, chute et s’étale en arrière sur le sol. Il la domine de toute sa hauteur, le regard méprisant, le pied prêt à l’écraser. Kyoko, terrorisée, ferme les yeux de toutes ses forces. Mais contrairement à ses craintes, l’homme s’en va sans un geste. Elle rouvre les yeux et tourne la tête dans sa direction pour le voir s’éloigner, les passants s’écartant sur son passage, terrifiés.
Kyoko est toujours à terre. Elle est assise, adossée à un muret. Il lui a fallu un quart d’heure pour retrouver ses esprits. Elle essaye de se relever, comme un faon essayant de marcher pour la première fois, les pattes fragiles, instables. Elle repense à cette rencontre. Elle a eu la sensation que son corps s’est vidé de son sang, bien qu’elle n’ait pas une égratignure. Comme s’il l’avait blessé. Elle a l’impression d’être folle. Elle marche dans la rue, les bras croisés sur sa poitrine, ses mains agrippées à son uniforme.
Comment a-t-elle pu croire qu’il s’agissait de Ren ? C’est vrai que selon tous les critères techniques qu’elle a retenu pour la fabrication de ses poupées, le visage, la proportion du corps et de la tête, de ses épaules, de ses coudes, la longueur du coude au poignet, de ses cuisses, de ses mollets et les angles de ses épaules à ses hanches, et tous les muscles qu’elle a pu apercevoir à travers ses vêtements, et de ses os… bref, elle ne pouvait conclure autrement, aucun autre japonais au monde n’a un tel corps… enfin, c’est ce qu’elle croyait, jusqu’à maintenant… c’est vrai que Ren peut être terrifiant quand il est en colère, au point de la faire pleurer et implorer son pardon, mais… Mais… il n’est pas comme cet homme, glacial et sombre.
Kyoko est perdue dans ses pensées, elle marche sans regarder devant elle. Elle passe devant une petite ruelle sans voir la main qui en surgit et la saisie d’un geste net et rapide. Un long bras noir, une grande main gantée. C’était si rapide que même les passants ne se sont rendu compte de rien.
Kyoko panique : l’inconnu s’est sais d’elle et l’empêche de crier d’une main sur sa bouche, l’autre tenant fermement un de ses bras. Elle agite la tête dans tous les sens, pleurant, et quand l’homme libère enfin sa bouche, elle répète, terrifiée : « je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée ». Elle s’excuse de lui avoir parlé, elle s’est trompé de personne. Elle se met en boule par terre, les mains sur sa tête, comme pour se protéger des coups, implorant encore son pardon, sans se rendre compte du changement d’attitude chez l’inconnu, ni du fait qu’il l’appelle par son nom. Elle s’excuse de porter un uniforme aussi moche, elle s’excuse du nom ridicule de sa section, de la bizarrerie du président… Et s’arrête enfin en sentant une main pleine de douceur se poser sur sa tête et une voix calme lui disant qu’elle n’a aucune raison d’avoir peur. Kyoko lève timidement les yeux et découvre un visage serein, aimable. Elle ne s’était pas trompée de personne, il s’agit bien de Ren !
Il étouffe à temps son cri de surprise, lui disant qu’ils ne doivent pas attirer l’attention des passants, ils sont en mission secrète.
Kyoko et Ren se trouvent maintenant debout face au président de la LME, en peignoir, vautré dans son canapé, fumant une cigarette à l’ancienne (au bout d’un stick). Ce dernier les jauge du regard. Il traite Ren d’imbécile. Comment a-t-il pu livrer son secret aussi facilement ? Nul ne doit savoir qu’il est Cain Heel, l’acteur X, BJ. Ren essaye de se justifier en disant qu’il était certain que Kyoko garderait le secret. Il l’a terrifié plus qu’il ne le pensait, et il s’est senti mal. En pensée, le président remarque que Ren est directe dans ses sentiments. Il savait que Ren ne tiendrait pas son personnage face à Kyoko, il sait ce que c’est d’être amoureux. Et puis, s’il ne s’était pas balancé lui-même, il l’aurait dit à Kyoko, donc au final, ça ne change pas grand-chose. Il regarde Kyoko, pensif, puis l’interpelle. Il suppose que Ren lui a tout raconté. Elle confirme. Dans ce cas, il aurait une mission à lui confier. Il s’agit de sa prochaine épreuve en tant qu’actrice. Si Ren ne s’était pas confié à elle, il pense qu’il aurait été capable de lui cacher sa vraie identité. Donc il ne doute pas vraiment de la capacité de Ren à berner tout le monde, néanmoins, par pure précaution, il aimerait que quelqu’un au courant de la situation reste à ses côtés. Comme Yashiro ne peut jouer ce rôle, elle est engagée.
Kyoko, d’abord surprise, devient toute joyeuse : le président veut qu’elle prenne la place de Yashiro. Aucun problème ! Elle sait comment s’y prendre, elle l’a déjà fait ! Mais Lory la corrige immédiatement : non, elle n’est pas sensée remplacer Yashiro comme manager. Non, dans cette mission dangereuse, elle sera le gardien de Ren.