Une Histoire De Chocolat

La veille de la Saint-Valentin, dans l’immeuble de la LME production.
Kyouko, Maria, et une Kanae des plus dubitatives sont rassemblées autour d’un chaudron bouillant. Elles portent des capes noires, des masques tribaux, et le feu qui flambe sous le chaudron est leur seule source de lumière.
« Grands dieux païens, grandes déesses bafouées, par cette nuit maudite, prêtez nous votre pouvoir ! »
Maria, très concentrée, accompagne sa formule de gestes complexes.
« Non mais franchement… non, là, c’est sûr, je vous laisse ! »
Kanae se dirige vers la porte. Kyouko lui barre la route : « Hors de question, personne ne peut quitter la salle tant que le grand rituel n’est pas fini. Il ou elle risquerait d’emporter une partie du pouvoir avec lui ! »
« La seule chose que je risque d’emporter de cette pièce, c’est un mal de crâne. C’est quoi toutes ses vapeurs bizarres ? »
« De l’encens fait à partir de poudre de momies égyptiennes, imbibée de sang de lézards », répond Maria, avec une esquisse de sourire sur les lèvres. Et se tournant à nouveau vers le chaudron, elle se remet à psalmodier.
« Je crois que je vais vomir ». Kanae regarde le chaudron avec dégoût.
Kyouko, tout sourire : « Mais non, n’y penses plus, tu verras, à force, tu ne le sentiras même plus. Et puis, c’est pour la bonne cause. »
Kanae : « La bonne cause ??? Expliques-moi comment ce qui va sortir de ce chaudron, et qui ne respectera sans aucun doute toutes les règles d’hygiènes de base, peut être un bien pour le malheureux qui devra les avaler. Les chocolats de St-Valentin sont censés faire plaisir, pas vous tuer. Et comme je n’ai aucune envie d’être complice d’un meurtre… » . Elle se dirige à nouveau vers la porte, et Kyouko la repousse de ses deux mains vers le chaudron.
« Allons, allons, on ne fait rien de mal, n’est-ce pas Maria ? »
« Bien sûr que non ! Il s’agit juste d’un petit enchantement que j’ai trouvé dans un vieux livre acheté par grand-père chez un antiquaire, pour jeter un sort sur les chocolats, de sorte que celui qui les mange tombe éperdument amoureux de vous. »
Sourire d’extase. « Ah, Ren ! Que j’ai hâte de les lui apporter. Il les mangera, et là, nous pourrons nous marier. Quel bonheur… »
Kyouko regarde Maria avec douceur. Cette enfant est si mignonne. Kanae, pour sa part, voit déjà la une des journaux le lendemain « La grande star Ren Tsuruga hospitalisé. Tentative de meurtre ou simple indigestion ? »
Maria se ressaisit : « Bien sûr, il faudra d’abord que je me débarrasse de toutes les sangsues qui lui courent après. L’an dernier, j’ai fait établir un cordon de sécurité autour de Ren, en empruntant les gardes du corps de l’agence, mais quelques hystériques ont réussi à passer outre. Cette année, j’utiliserai les grands moyens ! » Petit rire démoniaque qui ne laisse rien présager de bon. « Nul ne s’interposera entre moi et ma destinée : devenir la femme de Ren ! Ha, ha, ha, ha ! ».

Dans le couloir, un assistant qui passait par là s’arrête devant la porte, frissonnant : quelle créature peut avoir un tel rire… et pourquoi de la vapeur s’échappe de dessous la porte. Ce n’est pas censé être une salle d’archive ??? Frissonnant, il s’éloigne en courant : la rumeur est vraie, il y a des créatures démoniaques à la LME !

Kyouko reprend sa place, près de Maria, pour lui passer les ingrédients, tandis que Kanae reste en retrait : elle veut bien rester, mais pas question de participer !
Entre un psaume et l’ajout de quelques étranges racines, Kyouko demande : « Maria, tu vas offrir des chocolats à ton père cette année ? »
« Oui, bien sûr. Et à grand-père aussi ! Je les ai fait avant-hier, ils attendent bien au frais. Et vous ? »
Elle regarde Kyouko, puis Kanae. Kyouko fixe aussi son amie.
D’un air digne : « Hors de question. Pour moi, ce sont les hommes qui font des cadeaux. Je ne m’abaisserai pas à donner des chocolats ! »
Kyouko, un peu déçue : « Même pas à Uesugi ? »
Kanae devient toute rouge, et la voix tremblante de colère (ou de gêne) : « Pourquoi veux-tu que j’offre des chocolats à un gosse ?? »
Kyouko : « Parce qu’il est ton partenaire dans le film. On doit offrir des chocolats à ses collègues, non ? » Et avec un sourire entendu : « Et je suis sûre que ça lui ferra plaisir ».
Kanae, encore plus gênée : « Je te l’ai déjà dit, tu te fais de fausses idées ! » Une idée surgit dans sa tête. Et, l’air plus sûre d’elle, elle ajoute : « Puisque tu dis qu’il faut offrir des chocolats à ses partenaires, tu vas en offrir à Tsuruga Ren ? »
Kyouko, mal à l’aise, ne trouve pas ses mots. Elle se balance d’un pied sur l’autre : « C’est à dire que… effectivement, je devr… » Petit coup d’œil à Maria. « … je devrais, mais je ne peux pas, puisque je soutiens Maria. »
Maria, innocente : « Inutile de te retenir pour moi. Si tu veux donner des chocolats à Ren, je ne t’arrêterai pas, tu ne risques rien. »
Kanae, ricanant : « Tu vois, elle te donne même sa bénédiction. »
Kyouko : « … mais ce n’est pas une bonne idée. Je veux dire, si Tsuruga accepte mes chocolats, il faudra qu’il accepte ceux des autres aussi, sinon, ça ne serait pas juste. Et à cause de moi, il se retrouverait avec une montagne énorme, et… »
Maria, touillant son étrange mélange : « Ne t’en fais pas pour ça, je me charge de faire le tri pour lui. »
Kyouko, toujours hésitante : « D’accord, mais d’abord, est-ce qu’il aime le chocolat ? Il ne faudrait pas le forcer à en manger. Déjà qu’il ne mange pas beaucoup, ça risquerait de le rendre malade. »
Kanae, fixant la mixture : « Ca c’est sûr, il va tomber malade. Mais ça ne sera pas à cause de tes chocolats. »
Kyouko : « Peut-être mais… de toute façon, il est trop tard, tous les magasins sont fermés, et demain, j’ai un planning très serré, je ne pourrai pas en acheter. »
Kanae : « Tu n’as qu’à emprunter ceux de Maria. Vu la taille du chaudron, il y a de quoi offrir des chocolats à tout le personnel de la LME. »
Kyouko, rougissante : « Impossible ! Ils sont spéciaux !»
Kanae, sceptique, lui murmure à l’oreille : « Ne me dit pas que tu crois que ça va marcher, ce truc. »
Kyouko, l’air digne : « Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir de l’occulte ! » Un de ses petits démons s’installe triomphant sur son épaule.
Kanae : « Mouais. Tout ce que je vois, c’est que tu cherches des excuses pour te défiler. Comme si… tu as déjà offert des chocolats à un garçon, non ? »

Flash-back : Kyouko en maternelle, joyeuse et ingénue, qui offre des chocolats à Sho. Kyouko en primaire, toujours joyeuse et ingénue, qui offre des chocolats à Sho. Kyouko au collège, qui reçoit des centaines de lettres de menaces de mort parce que, joyeuse et ingénue, elle a offert des chocolats à Sho.

Une vague de petits démons envahissent la pièce, atténuant la lumière offerte par le feu, et faisant chuter la température de la salle de plusieurs degrés.
Kanae recule, s’agrippant à une table.
Maria, sautillant de joie autour du chaudron : « Les dieux ! Les dieux répondent à notre appel ! Cette fois-ci, c’est sûr, ça va marcher ! »
Kyouko, le visage sombre, d’une voix d’outre-tombe : « Non, je n’ai jamais offert de chocolat à un garçon ! »
Soudain, aux « blup blup » de la mixture qui bouille s’ajoute un grand bruit d’explosion. Des nuages d’étranges couleurs s’en dégagent, saturant l’air de la pièce.
Les trois demoiselles se précipitent donc vers la porte, l’ouvrent en grand et à moitié asphyxiées, respirent autant que possible l’air frais du couloir.
Maria, entre deux toux : « Non ! Mes chocolats… »
Kanae : « Il vaut mieux que ça explose maintenant que dans le ventre de Tsuruga. »
Maria, très déçue : « Ca a échoué ! Encore ! »
Elle tente un coup d’œil dans la pièce. Des feuilles ont volé ici et là, et tout, du sol au mur, est recouvert du mélange, lequel a une étrange teinte marron avec des reflets verts.
Kanae, derrière elle, s’inquiète déjà de l’explication qu’elles devront fournir pour un tel bazar. On va les prendre pour des folles. Et si les rumeurs circulent… non, mieux vaut ne pas y penser. Heureusement qu’il est tard et que l’immeuble est presque désert.

Après quelques minutes, l’air étant redevenu respirable, Maria entre dans la pièce, marche vers le chaudron, lequel n’a pas bougé. Le feu s’est éteint, et le contenu ne bouille plus.
Maria, accablée : « C’est inutilisable… »
Kanae : « Ce n’était déjà pas utilisable à la base. »
Maria : « Non, là, c’est vraiment inutilisable : ça ressemble comme deux gouttes d’eau à cette autre potion décrite dans le livre, celle qui donne des pustules sur le nez à celui qui l'avale. »
Kyouko, en entendant ces mots, surgisse à leur côté, se frottant les mains : « Dans ce cas, si ça ne vous gêne pas, je voudrai bien la récupérer. »
Devant une Kanae et une Maria surprise, Kyouko récupère le mélange maudit dans une des fioles de Maria. Elle se redresse et face à ses compagnes : « Maintenant, je dois vous laisser. J’ai des chocolats à préparer. » Elle s’enfuit dans le couloir, émettant le même rire de sorcière que Maria avant que tout n’explose.
Kanae et Maria se regardent, les yeux grands ouverts : elle ne va quand même pas… utiliser ça pour faire des chocolats pour Ren ?

Le lendemain, au siège de l’agence Akatoki, Shoko apporte une pile de chocolats à Sho, étendu dans un canapé.
Sho, tout excité : « Combien en-ais-je reçu? »
Shoko, posant le tout sur la table basse : « Trop pour les compter ! Ce n’est qu’un échantillon de ce qui traîne dans mon bureau. »
Sho, tout fière, attrape la boîte du dessus, l’ouvre et découvre des chocolats en forme de cœur, avec des reflets vert. A l’amande, sans aucun doute. Il les croque, satisfait de lui-même : cette année, c’est sûr, il a battu Ren !